"Concernant le TTIP, je précise qu’il s’agit d’un sujet qui a longuement été abordé au cours de la campagne électorale de 2014. J’ai eu à de multiples reprises et clairement l’occasion de donner mon point de vue sur ce thème. Ma position et celle du groupe auquel j’appartiens a également été maintes fois exprimée sans jamais varier.
Sans être à priori défavorables à un accord de ce type, j’y reviendrai plus loin, nous faisons part toutefois d’une très grande réserve car nous estimons qu’il n’aurait de sens que s’il était mutuellement avantageux pour l’intérêt des populations concernées. Or, pour estimer cet avantage, il faut en connaitre les critères et la finalité. C’est pourquoi, alors que les négociations se font dans une grande opacité, nous avons souhaité être très clairs sur nos conditions que nous avons également appelées nos « lignes rouges » :
- La non remise en cause de nos choix de société et donc le maintien de normes élevées en matière de santé, d’éthique, de droits civiques, de travail, de sécurité alimentaire, d’agriculture, d’environnement qui constituent nos préférences collectives, ciment du modèle social européen ;
- La nécessaire protection des droits de propriété industrielle et intellectuelle
- La protection des indications géographiques
- La préservation de la qualité des services publics
- La défense des intérêts stratégiques des Etats européens, en particulier énergétiques et industriels ;
- L’exclusion de la protection des données personnelles des négociations, afin de mieux les protéger ;
- L’exclusion d’une clause Investisseurs/Etat (ISDS) dans le traité qui autorise les entreprises à attaquer les gouvernements devant une juridiction internationale si elles estiment qu’une loi ou qu’une décision a lésé leurs intérêts.
J’ajoute trois précisions supplémentaires :
Dès 2013, les socialistes français au Parlement européens ont obtenu l’exclusion explicite de la culture, du cinéma et des services audiovisuels du champ de la négociation, sans possibilité de retour en arrière ;
S’agissant de l’ISDS, notre délégation a bataillé ferme de manière à ce que nos collègues de groupe nous rejoignent, cette fermeté ayant notamment amené la Commissaire Cécilia Malmström à évoquer la création d’un tribunal international pour se substituer à ces procédures d’arbitrage privé. Cette proposition étant à ce stade un peu nébuleuse, nous serons amenés à juger sur pièce si ce dispositif est suffisamment protecteur pour les intérêts de nos concitoyens.
Près d’une quinzaine de commissions parlementaires vont formuler un avis sur le rapport et il arrive que des votes soient favorables sur l’ISDS, comme en commission culture, où une curieuse coalition a acté un principe de création de l’ISDS ! Il faut donc redoubler d’attention « à tous les étages ».
Comme vous le voyez, nous avons donc clairement posé nos conditions, ce que le rapporteur Bernd Lange, membre allemand de notre groupe socialistes et démocrates, a fidèlement traduit dans le rapport qu’il soutient et qui évite deux attitudes contre productives : celle des farouches partisans de l’accord qui n’y voient que des facteurs de développement économiques et sont peu soucieux de ses conséquences sociales ou environnementales et celle des farouches adversaires qui refusent d’en considérer les opportunités.
L’honnêteté intellectuelle oblige à se poser une question fondamentale : aurait-il fallu refuser la négociation du traité ? Dans cette négociation, la Commission poursuit des objectifs que l’on peut partager, comme par exemple la réduction du déséquilibre existant entre l’UE et les USA concernant l’accès aux marchés publics. Ceux es européens sont ouverts à 85% aux soumissionnaires américains. Ceux des américains ne le sont qu’à 35%. Le juste échange, c’est la réciprocité entre puissances du même niveau. Il faut donc rééquilibrer quoi qu’il arrive, TTIP ou pas. Il s’agit également de préserver le pouvoir normatif qu’exercent pour l’essentiel les Européens et les Américains et que revendiquent de plus en plus efficacement les grands pays émergents. Ce qui a décidé les gouvernements de l’UE à entrer dans cette négociation du partenariat transatlantique, c’est la conviction qu’il valait mieux que les grandes démocraties continuent de définir les normes et les standards mondiaux des biens et des services, plutôt que ce soit la Chine notamment.
Au final, dans un débat que je crois très important pour les citoyens et pour l’assemblée dans laquelle nous sommes élus, mon opinion est que ces discussions sont beaucoup trop asymétriques et ne sont pas garantes d’un réel contrôle démocratique. Il n’est pas possible à ce stade d’exclure que, sous couvert de création d’emploi et de croissance, le TTIP ait pour objectif de modifier le modèle européen d’une part et ait d’autre part plus à voir avec la géopolitique qu’avec le commerce.
La gauche est largement rassemblée sur la défense de certains aspects clefs de notre modèle européen traduits par ces fameuses « lignes rouges » citées plus haut.
Je vous propose de continuer ce dialogue au fur et à mesure que le Parlement se prononcera."
Sylvie Guillaume
Députée européenne
Vice-Présidente du Parlement