Mardi 5 mai 2015,
Madame, Monsieur,
Vous m’avez interpellé sur le projet de loi sur le renseignement et je comprends votre inquiétude sur le sujet.
En préambule permettez-moi de vous préciser que ce projet de loi est un travail de synthèse et au long cours. Il ne constitue en rien une loi d’exception destinée à répondre aux événements dramatiques du 7 janvier 2015, aux attentats de Charlie Hebdo ou de la Porte de Vincennes à Paris.
Poser un cadre légal à l’usage des techniques de renseignement et encadrer les pouvoirs des services spécialisés du renseignement, tels sont les objets de ce texte.
Ainsi, le projet de loi déposé par le gouvernement vise à la mise en place d’une autorité administrative indépendante, la Commission Nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), composée de 13 membres, à savoir trois sénateurs, trois députés, trois membres ou anciens membres d’une part du Conseil d’Etat et d’autre part de la Cour de cassation ainsi qu’une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de communications électroniques nommée par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. Le mandat des membres de cette commission est de 6 années non renouvelables, gage d’indépendance et d’impartialité.
Le texte prévoit également que les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques afin de défendre et promouvoir les intérêts publics suivants : l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ; les intérêts majeurs de la politique étrangère et de la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ; les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ; la prévention du terrorisme ; la prévention des atteinte à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ou la reconstitution ou d’actions tendant au maintien de groupements dissous ; la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ; la prévention de la prolifération des armes de destruction massive.
Or l’autorisation de recourir à de telles techniques est accordée par le Premier ministre, et nécessite l’avis de la CNCTR.
Et le texte précise expressément que l’autorité publique ne peut porter atteinte au respect de la vie privée, à la protection des données personnelles et à l’inviolabilité du domicile. De même, les techniques de recueil du renseignement ne pourront être utilisées sur les professions à risque, à savoir les magistrats, les avocats, les parlementaires ou encore les journalistes.
De même, cette commission rend un rapport annuel sur son activité aux parlementaires.
En cas d’urgence, des dérogations peuvent être accordées, mais elles sont spécialement établies et précisées. Deux types d‘urgences ont été prévues :
- en cas d’urgence absolue liée à une menace imminente ou à un risque très élevé de ne pouvoir effectuer l’opération ultérieurement, les services n’auront pas à recourir à l’avis de la CNCTR mais devront obtenir l’autorisation du Premier ministre,
- en cas d’urgence opérationnelle, le chef de service pourra également autoriser, directement, l’usage d’une mesure de surveillance sans obtenir au préalable l’avis du Premier ministre et de la CNCTR.
Aussi, le projet de loi instaure un droit de recours devant le Conseil d’Etat quant à la légalité des autorisations de recours aux techniques de renseignement, ouvert à un particulier, à la CNCTR ou, sous forme de question préjudicielle, à tout juge à l’occasion d’un litige.
Le Conseil d’Etat est compétent pour connaître, en premier et dernier ressort, des requêtes concernant le contentieux de la mise en œuvre, par les services administratifs spécialisés, des techniques de renseignement soumises à autorisation. Or la compétence du Conseil d’Etat, juridiction suprême de l’ordre administratif, gardien des libertés publiques et de l’équilibre entre exercice des prérogatives de puissance publique et respect des droits des citoyens, est parfaitement conforme à l’organisation judiciaire française, à l’Etat de droit et à la répartition des compétences telle que prévue par l’article 66 de la Constitution de 1958.
Concernant le renseignement, le projet de loi prévoit que les techniques dont l’usage est aujourd’hui permis dans le cadre d’une procédure judiciaire, puissent également être utilisées par les services spécialisés de renseignement. Ces techniques de renseignement s’entendant du balisage de véhicule, la sonorisation de lieux privés, la captation d’images dans des lieux privés, la captation de données informatiques, l’accès aux réseaux des opérateurs de télécommunications pour le suivi d’individus identifiés.
Aussi, la commission des lois de l’Assemblée nationale a reconnu la possibilité pour le ministère de la Justice de commander le recours à ces techniques, afin d’étendre la possibilité d’utiliser de tels outils dans les établissements pénitentiaires.
Afin de garantir le respect du droit à l’oubli, le recours à l’usage de ces techniques de renseignement est compris dans des délais.
Les données de connexion pourront être conservées durant 5 ans et le délai de 90 jours a été retenu pour la sonorisation, la prise d’image ou la captation de données informatiques. Le délai commence à courir à partir du moment où les données sont exploitées et non plus recueillies, et la destruction de celles-ci aura lieu au bout de 6 mois, en cas de non-exploitation.
Le groupe Radical, Républicain, Démocrate et Progressiste à l’Assemblée nationale s’est, à de nombreuses reprises montré vigilant au contrôle du respect des libertés fondamentales et à l’exercice effectif de leurs droits par les individus. De la même manière, le rapporteur du texte, Jean-Jacques Urvoas, Président de la commission des lois à l’Assemblée nationale a tenu à mener des auditions auprès des représentants des services administratifs, des magistrats, des opérateurs de téléphonies et d’internet, des associations de défense des libertés publiques, afin de présenter à la représentation nationale un texte équilibré, d’envergure, mais respectueux des libertés fondamentales et des droits et intérêts des citoyens.
Il apparaît en effet nécessaire de veiller au respect des droits des individus tout autant que de veiller au respect de l’intégrité de notre territoire national et de ses intérêts fondamentaux.
Nous ne pouvons laisser y être porté atteinte, c’est pourquoi il apparaît justifié que le législateur se saisisse de cette question et qu’il adopte un texte qui, nous le pensons, permet de garantir et d’assurer le respect de ces deux impératifs.
Ainsi, les dispositions du projet de loi relatif au renseignement, telles que modifiées et examinées par l’Assemblée nationale, visent à renforcer le rôle de l’administration tout en garantissant le respect des libertés publiques et des intérêts fondamentaux de la République française, en précisant les contours et les conditions d’usage des techniques de renseignement.
En complément des éléments ci-dessus, vous trouverez ci-dessous copie d’un courrier de Monsieur Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, adressé à la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), précisant les intentions du Gouvernement sur ce projet.
Espérant avoir répondu à vos interrogations, je vous prie de croire, Madame, Monsieur, en l’assurance de plus cordiales salutations.
Joël Giraud, député des Hautes-Alpes
Le ministre de l'Intérieur écrit à la présidente de la commission nationale consultative des droits de l'Homme
Lire le courrier : Téléchargement 24042015-Courrier Cazeneuve a CNCDH