« La « ferme France » recule depuis 15 ans et souvent de manière inversement proportionnelle à la progression de ses voisins comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne ». En affirmant ceci en séance de nuit dans l’hémicycle, Joël Giraud illustre que la crise agricole n’est pas un mal européen, il s’agit aussi d’un mal français. Dans le collimateur du député des Hautes-Alpes : le déséquilibre entre producteurs et grande distribution qui a favorisé les seconds « au détriment de l’aménagement et de la vitalité de nos territoires, de l’autonomie et de la sécurité alimentaires et de notre commerce extérieur », un déséquilibre instauré par la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008 auquel le Gouvernement, malgré de nombreux amendements des députés radicaux de gauche, a toujours refusé de toucher. A la veille de la présentation de la loi Sapin 2 et suite aux engagements du Président de la République et du Gouvernement de changer de doctrine sous la pression du monde agricole, le Député-maire de L’Argentière La Bessée a demandé comment garantir l’efficacité de la révision annoncée de la LME. Derrière cette phrase, Joël Giraud craignait un nouveau lobbying de la grande distribution car, dans le texte présenté ce matin en Conseil des Ministres, de l’aveu même de Stéphane Le Foll, aucune disposition n’est affichée. Pour autant le Ministre de l’Agriculture a annoncé un geste fort : un amendement du gouvernement va être déposé sur trois points
- l’incessibilité des contrats laitiers,
- la réforme de la LME,
- la possibilité de prononcer des astreintes à l’encontre des entreprises qui ne publient pas leurs chiffres.
Pour Joël Giraud c’est une très bonne chose, reste à en connaître le contenu précis.
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Questions sur la politique agricole du Gouvernement
Troisième séance du mardi 29 mars 2016
- le président. Nous en venons aux questions du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. La parole est à M. Joël Giraud.
- Joël Giraud. Monsieur le ministre, ainsi que vous l’avez entendu mille fois dans cet hémicycle et ailleurs, la France traverse une crise agricole majeure, une crise multifactorielle, une crise dont certains aspects relèvent de l’Europe, de l’OMC – l’Organisation mondiale du commerce –, de questions internationales, une crise qui touche plus durement les plus modestes. Pourtant, il y a aussi dans cette crise une part française : nous ne pouvons pas le nier car nous pouvons ici trouver quelques réponses.
Les chiffres sur les surfaces cultivées, sur le nombre d’exploitants et de salariés ou sur la production sont clairs : la « ferme France » recule depuis environ quinze ans, et souvent de manière inversement proportionnelle à la progression de ses voisins comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne.
Des pans entiers de notre agriculture s’effondrent, avec des conséquences économiques et sociales sur l’emploi, l’aménagement et la vitalité de nos territoires, l’autonomie et la sécurité alimentaire, ou encore notre commerce extérieur.
Plusieurs lois ont tenté d’apporter des réponses : la LOA – loi d’orientation agricole –, la LMA – loi de modernisation de l’agriculture – ou la récente loi d’avenir pour l’agriculture. Ces lois ont eu leur utilité, mais elles manquaient d’envergure, avec des moyens budgétaires faibles et pas à la hauteur des enjeux.
Sur les négociations commerciales, il y a eu la loi Chatel, la LME – loi de modernisation de l’économie –, la LMA, la loi Lefebvre, la loi Hamon sur la consommation, la loi d’avenir. Des parlementaires, sur tous les bancs, ont prévenu : voyant venir le mur pour nos paysans, ils ont klaxonné – en vain.
Depuis 2012, et sous la législature précédente également à titre individuel, les députés radicaux ont défendu des amendements sur ces textes pour rééquilibrer les relations commerciales entre nos agriculteurs et les puissants acteurs de la distribution.
À part de légers ajustements, on nous opposa systématiquement cette doctrine : « On ne touche pas à l’équilibre fragile de la loi de modernisation de l’économie ». Le rapport d’application de la loi Hamon sur la consommation, présenté il y a quelques mois, reprend aussi l’idée qu’il ne faut pas toucher à la LME.
À la suite des manifestations des paysans, le Gouvernement a annoncé un changement de doctrine avec une révision de la LME dans la loi « Sapin 2 ». Elle vise à intégrer des éléments propres aux producteurs, comme le coût de production ou le prix payé, dans les négociations commerciales entre industriels et distributeurs. Le sujet n’est pas simple car il y a aussi des effets indésirables induits.
Mais si nous sommes heureux de voir nos idées progresser, nous sommes inquiets car nous connaissons les pouvoirs d’influence des grands acteurs. Ma question sera simple, monsieur le ministre : comment comptez-vous garantir l’efficacité de la modification annoncée de la LME ?
- le président. La parole est à M. le ministre.
- Stéphane Le Foll, ministre. Vous évoquez, monsieur le député, la fameuse loi LME, qui régit les négociations commerciales entre la grande distribution et les industriels. Vous avez vu qu’aujourd’hui l’Association nationale des industries alimentaires, l’ANIA, a publié des chiffres plutôt positifs : l’industrie agroalimentaire a créé 4 600 emplois et le nombre des faillites a diminué, passant de 400 à 276 : l’agroalimentaire tient.
En même temps on constate que les prix sont en déflation constante depuis 2009.
Les représentants des industriels et de la grande distribution que nous avons rencontrés ont été prévenus que si les négociations commerciales ne débouchaient pas sur des résultats positifs – ils l’ont été plus ou moins, mais à la suite d’une pression très forte – le cadre de la LME serait modifié.
Il s’agit de faire en sorte que le prix qui sera finalement payé au producteur soit intégré dans ces négociations commerciales. Aujourd’hui en effet le grand absent de ces négociations, c’est le producteur, qu’il soit laitier, porcin, bovin ou autres. Ce que l’on veut obtenir, c’est que la question du coût de la production soit intégrée à tous les stades de ces discussions, qui sont elles aussi d’une complexité incroyable – les boxs de négociation distinguant entre produits transformés, peu transformés, pas transformés, etc.
C’est ce qu’on va chercher à faire via un amendement gouvernemental au projet de loi qui sera présenté demain en conseil des ministres – cela ne figure pas dans le projet de loi initial parce qu’on a préféré attendre que les négociations commerciales aient eu lieu. Je serai d’ailleurs au côté de Michel Sapin pour défendre le volet agricole du projet de loi.
Ce volet comporte trois points : l’incessibilité des contrats laitiers ; la réforme de la LME ; la possibilité de prononcer des astreintes à l’encontre des entreprises qui ne publient pas leurs chiffres. - Thierry Benoit. Très bien !
- Stéphane Le Foll, ministre. Nous savons tous à qui on s’adresse. Il y a des moments où il faut dire les choses et appeler chacun à ses responsabilités.
La modification de la LME visera donc à imposer aux acteurs de la négociation commerciale de tenir compte des conséquences de la négociation pour les producteurs.
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