Tribune de Manuel Valls le 22 février 2016
Le chômage de masse mine notre pays depuis 40 ans. Il désespère tant de nos concitoyens, pèse sur l'avenir de nos enfants. Il divise notre pays entre ceux qui ont la chance d’avoir un emploi et les autres, qui n’entrent qu’avec difficulté dans le monde du travail ou sont frappés par un chômage de longue durée.
Au fil du temps, beaucoup a été tenté – et depuis 2014, c’est un effort sans précédent de 40 milliards d’euros qui a été mené pour baisser le coût du travail et la fiscalité pesant sur les entreprises. Mais les résultats restent insuffisants. Notre devoir, c’est donc d’aller plus loin, pour vaincre les conservatismes, casser la logique de la demi-mesure et chercher des solutions neuves et audacieuses.
Notre économie et notre modèle social absorbent mieux que d’autres les chocs de la conjoncture mondiale. Nous n’avons pas connu de crises aussi fortes que celles de l’Espagne ou des Etats-Unis. Mais quand la reprise mondiale est là – et quelles que soient les majorités au pouvoir … – nous créons beaucoup moins de travail que d’autres pays – en particulier l’Allemagne ou la Grande-Bretagne qui, elles, ont su retrouver le plein emploi.
La raison : notre économie est beaucoup trop rigide ! Dans une compétition mondiale, nos entreprises se battent à armes inégales et subissent des perspectives d’activité de plus en plus incertaines. Combien de fois ai-je entendu des chefs d’entreprises – et notamment de PME, c’est-à-dire là où se créent les emplois – me dire qu’ils embaucheraient volontiers, mais qu’ils avaient peur d’être « coincés » si leur activité, tout à coup, allait moins bien ? Au final, ce sont des centaines de milliers d’embauches perdues.
Nous devons soutenir nos entreprises, petites et grandes, leur donner les moyens de remplir leurs carnets de commande, de se développer, d’être plus réactives, et donc de recruter, sans pour autant brader notre modèle social. Nous devons impérativement sortir des rigidités qui découragent, des blocages qui empêchent et brident la compétitivité. Le projet de loi que Myriam EL KHOMRI présentera en Conseil des ministres, le 9 mars, doit donner plus de souplesse et permettre à notre économie d’affronter les difficultés, mais aussi de saisir toutes les opportunités de croissance.
Un point fondamental ne doit, bien sûr, jamais être oublié : la relation de travail n’est pas équilibrée. Et ce déséquilibre justifie l’existence d’un droit du travail protecteur. Mais je refuse ces visions qui considèrent que toucher un mot du code du travail revient à organiser la « régression sociale », à remettre en cause les droits fondamentaux des salariés, et qu’il faudrait surtout ne rien changer. Ne rien changer, je le dis simplement, c'est nous condamner.
Les protections de notre droit social doivent s’adapter pour continuer d’être efficaces. Trop de salariés ne peuvent pas, aujourd’hui, faire valoir leurs protections en raison même de la rigidité ou de la complexité de notre code du travail. Car enfin, qui peut revendiquer des droits – à la formation, à l’aménagement de son propre temps de travail, … – qu'il ne connaît même pas ?
Ce projet de loi, qui sera défendu par la ministre du Travail, porte un nom : « plus de libertés, plus de protections pour les entreprises et pour les actifs ».
Plus de libertés, car les entreprises pourront, avec leurs salariés, organiser le temps de travail de la manière la plus efficace – à l’intérieur du cadre fixé par la loi, qui impose de payer en heures supplémentaires le travail effectué au-delà de 35 heures – pour faire face, par exemple, à un afflux de commandes ou à des difficultés. Il n’y aura donc plus de règles s’appliquant à tous – et donc nécessairement rigides, dictées d'en haut, « depuis Paris », comme si les salariés concernés ne savaient pas ce qui était bon pour eux. Les règles seront au contraire fixées par ceux les mieux à même de connaître les réalités de l’activité, les contraintes de leurs marchés, les attentes de leurs clients.
Adapter le temps de travail sera beaucoup plus facile dès lors que les acteurs de l’entreprise auront trouvé un accord ; et les dispositions contenues dans la loi ne joueront que s’il n’y a pas d’accord.
Plus de libertés, cela veut dire, aussi, lever les craintes des entreprises réticentes à embaucher. Pour rendre prévisibles les conséquences d’une éventuelle rupture de contrat – tant pour l’entreprise que pour le salarié – nous allons encadrer les indemnités prud’homales. Nous proposons également de clarifier les motifs de licenciement économique. Pas pour le banaliser, comme certains voudraient le laisser croire. Mais pour inscrire dans la loi – en s’appuyant sur les jurisprudences, sur des décisions déjà prises par des juges soucieux de protéger les salariés contre les abus – les critères démontrant qu’une entreprise, pour s’en sortir, n’a parfois pas d’autre option. Et l’aider à redresser la situation, c’est aussi éviter de devoir procéder, plus tard, à davantage de licenciements.
Plus de libertés … mais, en aucun cas, plus de précarité ! Car nous savons qu’agir pour l’emploi, c’est aussi avoir des actifs mieux formés, plus qualifiés, plus mobiles dans leurs carrières. Et donc des travailleurs dont les droits sont respectés.
Un Préambule sera ainsi introduit dans le code du travail pour réaffirmer les droits des travailleurs, tels qu’identifiés par le comité de sages de Robert Badinter. Seront ainsi gravés dans la loi : le contrat à durée indéterminée comme forme normale du contrat de travail, la durée légale, le principe d’égalité, en particulier entre les femmes et les hommes, et l’interdiction des discriminations.
Des droits qui protègent davantage, c’est aussi l’objectif du compte personnel d’activité qui est une véritable révolution et un progrès social : dès le 1er janvier 2017, chaque actif disposera d’un seul compte qui regroupera tous ses droits – à la formation, à la prise en compte de la pénibilité. Ce compte le suivra tout au long de son parcours professionnel, dans les périodes de salariat comme de travail indépendant, d’activité comme de chômage – au moment où justement une formation peut être utile. Les jeunes décrocheurs, comme ceux qui effectuent un service civique, verront automatiquement leur compte abondé en heures de formation.
Plus de droits, c’est enfin – alors qu’avec le numérique, la frontière entre vie personnelle et professionnelle devient plus floue – un « droit à la déconnexion », qui sera pour la première fois dans la loi, ou encore la réforme de la médecine du travail, pour que les salariés soient mieux suivis et mieux soignés. Je rappelle que c’est déjà grâce à la loi de 2013 sur la sécurisation de l’emploi que tous les salariés ont aujourd’hui une mutuelle ! Cela n’existait pas avant !
Plus de liberté, plus de protections, donc … Et aussi un message de confiance.
Confiance dans la négociation collective, car toutes les nouvelles souplesses que nous accordons aux entreprises ne pourront être activées que par accord avec les représentants des salariés, accord dont la légitimité pourra être confortée par une consultation directe des salariés. Confiance dans la capacité du dialogue social à être un moteur de transformation. Car nous savons que même si les discussions sont souvent longues et difficiles, même s’il y a des conflits, la réalité du dialogue social en France, ce sont 35 000 accords conclus chaque année.
Confiance, enfin, dans le Parlement, dans les représentants de la Nation. Car une volonté forte du gouvernement ne veut pas dire absence de dialogue … Cette loi est-elle d’un bloc ? A prendre ou à laisser ? Evidemment non ! Des améliorations pourront être apportées. Mais nous devons aux Français de poursuivre les réformes, encore et toujours, sans faire de compromis sur la volonté de sortir du chômage de masse, de réaffirmer notre place dans l’économie mondiale.
J’entends réformer ce pays. Et je veux donner au plus grand nombre, à ceux qui en sont exclus, la possibilité d’entrer sur le marché du travail. C’est l’essence même du progressisme.
Manuel VALLS