Monsieur le Député des Hautes-Alpes, Joël Giraud, a été destinataire d'envoi en nombre de pétitions électroniques suscitées par nos amis du Mouvement de la paix (www.mvtpaix.org). L'objet principal est d'appeler à un vote contre les crédits de la mission « défense ».
Veuillez trouver ci-après la réponse de Monsieur Giraud à ce sujet.
Mesdames et Messieurs les parlementaires
Refusez le budget militaire 2011
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Vous êtes appelés à voter un budget de la Défense de plus de 31 000 000 000 € (31 milliards d’euros).
Ce budget prépare les guerres au lieu de promouvoir la Paix.
Dans ce budget figure une baisse significative des effectifs humains au profit des crédits d’équipements. Pourquoi ? Quelles sont les cibles du nouveau missile nucléaire M51, du nouveau sous-marin nucléaire lanceur d'engins, des avions rafales, etc. ?
Ce budget continue de tricher avec la réalité des opérations extérieures qui sont supportées par la "réserve de précaution interministérielle". Comment accepter une telle opacité ?
Alors que tout le monde s’accorde sur le danger que font courir les armes nucléaires à la planète, que les Etats se sont engagés à oeuvrer à leur élimination, que de nouvelles opportunités se dessinent pour abolir l’arme atomique, comment justifier que ce budget leur consacre 10 millions d’euros par jour ?
Dépenser plus pour les armes et moins pour les besoins vitaux des femmes et des hommes n’apporte ni la paix, ni la sécurité. Au contraire, à force de préparer la guerre, on finit par la faire. C’est le cas en Afghanistan, où l’on dépense 10 fois plus pour les opérations militaires que pour la reconstruction. Quelles autres guerres prépare ce budget militaire ?
Conséquence de la réintégration de la France dans l’Otan, de la Loi de Programmation militaire et du non-respect des engagements internationaux en matière de désarmement nucléaire, ce budget n’est pas tolérable. Pour la sécurité et la paix, c’est aux besoins vitaux des habitants du pays et de la planète qu’il faut consacrer les moyens !
Allez-vous accepter 102 milliards d’euros en 5 ans pour de nouveaux équipements militaires ?
Réponse de Joël Giraud :
Madame, Monsieur,
A l’initiative du Mouvement de la Paix, vous avez bien voulu me faire parvenir votre analyse du budget de la défense 2011.
Je souhaite vous présenter les motifs qui ont amené les députés du groupe Socialiste, Radicaux et Citoyens, auquel j’appartiens, à voter contre les crédits de la mission « défense » pour 2011.
Je vous rappelle aussi qu’en de multiples occasions, nous avons critiqué, en séance publique et lors des travaux en commission, les choix faits en matière de stratégie et défense par le président Sarkozy depuis 2007.
En particulier, sur le Livre blanc, sur la loi de programmation militaire, sur la fusion entre la gendarmerie et la police, notre Groupe a manifesté clairement son opposition tout en développant des propositions alternatives.
Nous avons condamné la centralisation à l’Elysée de décisions souvent mal préparées, l’alignement atlantiste, le défaitisme en matière de construction européenne, le désordre dans la mise en place des restructurations militaires, le manque de considération pour les personnels militaires et civils, et aussi l’impasse financière qui découle des orientations prises depuis 2007.
Nous considérons aussi qu’avec le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN et l’accroissement de la présence militaire française en Afghanistan, le Président de la République a décidé une série de ruptures préoccupantes, voire inquiétantes.
Autre sujet de déception, la loi de programmation militaire (2009-2014), qui se fonde sur les conclusions du Livre blanc, n’est pas à la hauteur des enjeux.
Tous ces éléments concourent depuis trois ans à affaiblir notre outil de défense et donc notre indépendance.
Nous sommes farouchement attachés à la suprématie du droit sur la force et à l’application effective des principes des Nations Unies et nous appelons l’existence d’une Europe active et responsable face aux drames humains et aux foyers d’instabilité.
Dans un monde où les rapports de forces et les stratégies de puissance se sont modifiés, où la nature des menaces a changé, notre capacité à nous défendre et à projeter nos forces demeure primordiale.
Nous ne souhaitons pas que notre pays et l’Europe soient placés passivement sous la protection bienveillante mais exclusive de l’allié américain. Nous réclamons pour notre pays et pour l’Europe une capacité d’action propre et autonome au service du droit international et de la paix. Ainsi, nous pensons que, pour favoriser le rétablissement de la paix et pour œuvrer à la prévention des conflits, notre politique de défense doit s’inscrire dans une coopération approfondie avec nos partenaires européens. La France doit proposer à l’Union européenne d’élaborer une doctrine et de se doter de capacités propres - militaires et civiles - de haut niveau pour la prévention et pour le traitement des crises.
Notre engagement européen n’est nullement contradictoire avec le maintien d’une ambition nationale élevée pour notre outil de défense. L’organisation de nos capacités de défense implique une dissuasion fondée sur le principe de stricte suffisance, garantie ultime contre les menaces vitales qui peuvent exister. Nous pensons aussi qu’il ne faut pas, bien au contraire, négliger le dispositif de protection de notre territoire malmené par les orientations actuelles.
Mais, nous affirmons aussi avec force que la politique de défense doit être strictement distinguée de la politique de sécurité intérieure et qu’on ne peut pas accepter la confusion qu’entretiendrait l’attribution aux armées de missions de sécurité intérieure sur le territoire national.
Au fond, et c’est très important pour nous, notre action pour assurer la sécurité et pour participer activement à la construction d’un monde pacifique s’accompagne d’une position claire et responsable en faveur du désarmement. Tant que subsistent d’autres arsenaux nucléaires nous n’acceptons pas la remise en cause de la légitimité d’une dissuasion indépendante de notre pays, à vocation strictement défensive
Mais à la différence du Président de la République, nous pensons que notre pays doit reprendre son rôle d’impulsion dans les débats sur le désarmement et la non prolifération des armes de destruction massive ; il faudrait en particulier saisir l’ouverture historique créée par les orientations du Président Obama en faveur d’un désarmement nucléaire universel, progressif, négocié et efficacement contrôlé. Nous insistons sur ce dernier point.
Le contrôle efficace est déterminant pour que la confiance mutuelle puisse faire avancer le processus de désarmement. La France doit exprimer son soutien à la perspective d’un monde sans armes nucléaires et où la sécurité collective soit assurée. Nous devons refuser toute nouvelle course aux armements. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles nous sommes opposés au projet porté par les Etats-Unis de défense antimissile.
Sur ce dossier central en matière d’indépendance stratégique, je reprends à mon compte les propos de Jean-Michel Boucheron, député socialiste d’Ille-et-Vilaine et membre éminent de la commission des affaires étrangères. Lors du débat qui s’est tenu le 4 décembre, il a rappelé que la seule décision concrète qui risque d’être prise au sommet de l’OTAN de Lisbonne est celle de la défense antimissile. Or personne n’en connaît le contenu exact ou, plus exactement, tout le monde en devine les desseins. La question du système antimissile est un enjeu politique majeur pour l’avenir. Le secrétaire général de l’OTAN tente de convaincre les opinions européennes qu’une somme de 110 millions d’euros sur dix ans leur permettrait de se protéger de missiles balistiques les menaçant. Ce discours est mensonger. Passons sur le fait qu’un récent rapport du Pentagone démontre les constants échecs techniques de ces missiles, et que, s’ils fonctionnaient, ils ne résisteraient pas à une frappe saturante. Quiconque est habituée aux programmes de défense sait qu’une telle somme ne financerait même pas les études amont. De plus, et c’est essentiel, il faut se poser la question de savoir qui engagerait le feu : évidemment, ce seraient les Américains. Constatons, enfin, que ce concept est en contradiction totale avec le concept français ou britannique de dissuasion. Ce serait donc le renoncement à notre autonomie stratégique et donc à notre liberté d’action. Nous refusons d’y souscrire.
Ces considérations ne doivent pas nous faire oublier que des initiatives devraient être prises sans tarder afin de relancer les négociations pour un traité d’interdiction de la production de matières fissiles à usage militaire et nous soutiendrons les propositions tendant à une réduction des armements conventionnels les plus déstabilisants et les plus dangereux pour les populations.
Mais au-delà des préoccupations que vous exprimez légitimement sur les questions de désarmement et d’indépendance stratégique, je souhaite revenir sur la question des personnels, et notamment des personnels civils du ministère de la défense, qui payent un lourd tribut à la politique de restructuration lancée par le Gouvernement.
Le principal enjeu de la révision générale des politiques publiques (RGPP) est de diminuer drastiquement les emplois au sein du ministère de la défense, soit 54 000 suppressions d’emplois à l’horizon de 2015, dont environ la moitié a déjà été effectuée. S’il existe des possibilités de peser sur le rythme de sortie des militaires, dont la majorité sert sous contrat renouvelable, les choses sont plus complexes pour des personnels civils qui très majoritairement relèvent du statut des fonctionnaires de l’Etat ou d’un statut proche (« ouvriers de l’Etat »).
Or, contrairement aux déclarations du ministre et d’un certain nombre de hauts responsables du ministère qui affirment que les personnels civils font l’objet de toutes les attentions, ceux-ci ont déjà pu constater que les dysfonctionnements sont nombreux. Certaines fonctions administratives assurées par des militaires devaient être « civilisianisées ». Ce n’est pas le cas à ce jour. L’aide à la mobilité des personnels dont les emplois sont supprimés et qui sont mutés connaît des ratés importants. Ordres et contre-ordres ont occasionné des annulations de mutations au tout dernier moment. La mobilité hors du ministère de la défense semble totalement bloquée, faute de coopération des ministères civils, qui sont eux-aussi confrontés à la RGPP. La culture du dialogue social de certains hauts-responsables du ministère de la défense les amène à supprimer des postes avant d’avoir reclassé le personnel concerné. Les mêmes proposent des mutations impossibles au sein d’organismes qui suppriment aussi des postes civils. Certaines corporations civiles sont nettement visées par des politiques qui s’apparenteraient à du harcèlement moral…
La mission d’information parlementaire menée par les députés Cornut-Gentille et Cazeneuve avait prévenu très amont de la distance qui semble exister entre la perception des modalités de la RGPP chez ses promoteurs et ce que vivent les personnels. L’année 2010 ne semble pas avoir été celle de l’apaisement et 2011 nourrit toutes les craintes.
A cet égard, il convient de souligner que l’audition des syndicats par la commission de la défense a été une occasion de mesurer l’unanimité des organisations syndicales, ainsi que la radicalisation croissante du discours. Plusieurs faits sont dénoncés. Le ministre s’était engagé à ce que les personnels civils ne supportent pas plus de 25 % des suppressions d’emplois. Pour la seconde année consécutive, les suppressions d’emplois civils représentent 33 % du total. Soit 2 051.
De plus, les syndicats relèvent une sous-dotation des crédits de rémunération qui, selon eux, correspondent à 68 000 emplois et non 70 591 comme affichés.
Le dogme de l’externalisation touche de plein fouet certaines fonctions employant une proportion importante de civils (restauration-habillement-loisirs). A ce stade, aucune certitude n’existe sur le caractère avantageux des externalisations, selon les syndicats. Cette interrogation est largement partagée, y compris chez les militaires. Certaines mesures catégorielles sont prises en faveur de personnels civils. Néanmoins, elles s’assortissent d’un gel du traitement des fonctionnaires et des ouvriers de l’Etat, annoncé le 1er juillet à l’ensemble des syndicats de la fonction publique, par le ministre du travail.
La question du refus de défiscalisation de l’indemnité de départ volontaire des fonctionnaires et agents contractuels reste sensible. En effet, cette défiscalisation avait été accordée aux militaires et ouvriers de l’Etat.
Apparaissent aussi comme sensibles le fait que certains militaires quittent officiellement les armées pour être reclassés dans un emploi civil au sein du ministère de la défense et le fait que certains emplois de réservistes militaires recoupent des emplois administratifs et de soutien théoriquement dévolus à des civils.
Au total, les personnels civils ont le sentiment d’être particulièrement maltraités dans le cadre de la RGPP, pris en étau entre les militaires et les externalisations. Ils constatent d’ailleurs l’émergence de risques psychosociaux chez des personnels civils qui ont trop souvent le sentiment de se voir laissés à eux-mêmes. Les députés du groupe SRC n’acceptent pas que l’Etat, à certains égards, ne se comportent pas mieux que certains employeurs privés dans des circonstances comparables.
Ainsi, vous l’aurez compris, tant en matière d’indépendance stratégique, de rapport à la dissuasion que de condition faite aux personnels, nous refusons la politique du Gouvernement, à l’initiative du Président de la République.
Notre groupe a donc voté contre ce budget de la défense.
Souhaitant vous avoir éclairé sur les raisons des choix des députés socialistes, radicaux, citoyens et divers gauche, je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, l’expression de ma considération distinguée.
Joël GIRAUD