La gauche a tout fait pour combattre ce projet de loi.
Vous trouverez plus loin l'excellente intervention de mon ami François Brottes, rapporteur au nom du groupe socialiste....
Projet de loi
Privatisation de GDF
par François BROTTES,
député de l’Isère*
Pour qui sonne le g(l)az ?
Mais de quel pays est ce gouvernement qui démantèle une entreprise qui fonctionne bien depuis toujours et que le monde entier nous envie ? De quel pays est ce gouvernement qui renonce au contrôle de nos grandes entreprises nationales de l'énergie alors que, dans ce secteur, les négociations se font toujours d’État à État ?
De quel pays est ce gouvernement qui favorise la transformation d’un monopole public en monopole privé pour enrichir durablement, et sans qu’ils payent d'impôts au passage, une minorité d'actionnaires au détriment de nos concitoyens et au mépris des acquis fondamentaux de la République ?
De quel pays est ce gouvernement qui, alors qu’il s’agit de la distribution d’un bien de première nécessité, abandonne ses habitants à la jungle des tarifs les plus fous, les plus incompréhensibles, et bientôt les plus chers, pour satisfaire l'appétit des actionnaires ?
Mais quel est ce Président de la République, si fier d’avoir, le 16 mars 2002, à Barcelone, aux côtés de Lionel Jospin, réussi à freiner la dérégulation du marché de l’énergie, expliquant à l’époque que, du point de vue de la France, « il n’était pas acceptable d’aller plus loin » ? Lors de ce sommet, Lionel Jospin précisait pour sa part que si cette ouverture se faisait, on pouvait craindre de la dérégulation des hausses de tarifs bien davantage qu’en espérer des réductions de prix pour les consommateurs. Quel est ce même Président qui, juste après la victoire de la droite, et quelques mois seulement après le sommet de Barcelone, laisse, le 25 novembre 2002, Mme Nicole Fontaine, ministre de M. Raffarin, lâcher prise, et se réjouir d'imposer la libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz au 1er juillet 2007, pour tous les consommateurs, et donc pour toutes les familles ? Ils ont cédé sans condition, en fustigeant ce qu'ils appelaient « l'archaïsme de la gauche », et sans exiger l'élaboration, prévue à Barcelone, d'une directive cadre pour
garantir les prix et la qualité de nos services publics. Nous avons d'ailleurs appris la semaine dernière, que la droite – avec, en son sein, les parlementaires européens de l’UMP – venait de voter l’abandon de toute directive cadre sur les services d'intérêt général ce qui nous donne encore plus de raisons de lutter contre la privatisation pour préserver nos services publics.
Quel est ce Président qui ne respecte pas la Constitution, laquelle dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a, ou acquiert, les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité » – et donc le rester ?
Pour privatiser, il vous faudra déclasser du patrimoine public, et de son statut de service public national, le grand réseau gazier. Nous demanderons au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ce point, et sur quelques autres. Il est proprement scandaleux de mettre dans la corbeille de mariage de GDF avec Suez ce réseau de transport qui appartient à la nation, et dont la volonté de la Commission européenne est qu’il soit détaché de l'activité de fourniture de gaz, comme la Commissaire Kroes l’a indiqué le 28 septembre dernier.
Mais quel est ce ministre, dont la rumeur nous dit qu'il voudrait devenir Président, et qui déclarait, il y a quelques mois, ici même, avec la fougue, mais aussi le sens de la «rupture» qu'on lui connaît : «Je l'affirme, parce que c'est un engagement du Gouvernement : EDF et GDF ne seront pas privatisés. Le Président de la République l’a rappelé solennellement lors du Conseil des ministres au cours duquel fut adopté le projet» ? Mais quel est cet autre ancien ministre, très proche du précédent, qui faisait adopter, six mois seulement avant l'annonce de la privatisation de Gaz de France, une loi d'orientation sur l'énergie précisant, dans son titre premier, que «seules les entreprises publiques nationales de l'énergie étaient garantes du service public de l'énergie» ?
Mais quel est ce troisième ministre – je crois qu'il est ici aujourd'hui… –, qui a signé avec GDF, en juin 2005, le contrat de service public dans lequel il est expressément stipulé «que l'État et Gaz de France conviennent de rechercher à l’occasion de chaque mouvement tarifaire, la convergence entre les tarifs réglementés et les prix de vente en marché ouvert, et ce pour chaque type de client» ? Ce qui signifie, en clair, qu'à chaque augmentation du tarif du gaz décidée par le ministre, on se rapprochera au plus vite des prix du marché, même pour les ménages. C’est un aveu : ainsi était scellée la première pierre de la privatisation de GDF. D’une part, cette disposition consacre la fin des tarifs réglementés par leur alignement sur les prix du marché ; d'autre part, elle donne des gages d'augmentation de prix aux futurs actionnaires du groupe GDF–Suez, en permettant de dégager de meilleurs dividendes au détriment des usagers. En bref, MM. Cirelli, Mestrallet et Albert Frère en rêvaient, et M. Breton l'avait déjà fait pour eux !
Mais quels sont ces députés qui vont voter en faveur de la privatisation de GDF et, ce faisant, signer un chèque en blanc au Gouvernement ? Ces députés ne savent pas encore si Bruxelles donnera son accord à la fusion avec Suez, ni à quel prix ; ils ne connaissent pas encore les conditions définitives de la réduction d'activité de GDF qu’imposera la Commission européenne ; ils n'ont aucune certitude sur les exigences finales des actionnaires de Suez dont, chaque jour, la presse nous annonce qu'ils sont de plus en plus gourmands voire, pour certains,opposés à la fusion.Mais quels sont cesdéputés qui sont restés stoïques et silencieux pendant les 142 heures de discussion ? À cet égard, il est heureux que le débat ait duré, sinon nous n'aurions jamais eu connaissance ni de la lettre de griefs, même caviardée, ni de la missive du Commissaire McCreevy, ni de la liste des premiers actifs cédés par GDF ! Nos collègues ne se doutaient pas non plus que même le ministre reconnaîtrait au cours du débat qu'il n'avait jamais parlé de la privatisation de GDF avec les syndicats lors de leurs rencontres préalables à nos travaux ! Mais quels sont ces députés qui demandaient en coulisse au Gouvernement de les bâillonner par le recours à l’article 49–3 de la Constitution pour leur éviter de devoir se prononcer?
Mais quelle est cette majorité qui se laisse aveugler par des arguments aussi grossiers que démagogiques ? Ainsi, on ne pourrait reconstituer EDF–GDF car il faudrait vendre des centrales nucléaires ; c’est un argument fallacieux, agité pour effrayer, et que nous contestons. Comment prétendre, d’autre part, que constituer Suez–GDF c’est créer le plus grand groupe gazier d'Europe, ce qui fera baisser les prix d'achat du gaz ? Mais GDF est déjà la première entreprise gazière européenne ! De plus, la réduction du périmètre d'activité imposée par Bruxelles aux deux entreprises va conduire finalement à ce que GDF plus Suez égalent GDF, ou à peu près ! Cherchez l'erreur ! Quant à la baisse invoquée des prix d'approvisionnement, même si M. Ollier y croit, elle est illusoire, le débat l’a montré, en raison de l'indexation du prix du gaz sur celui du pétrole et aussi parce que la négociation se mène d'État à État,comme les Russes nous l’ont récemment rappelé. Enfin, vous voulez laisser croire qu'avec le maintien des tarifs, « on est tranquille » car le ministre décidera. Cet argument n’est pas des plus honnêtes, car les tarifs administrés vont rapidement disparaître pour l'électricité comme pour le gaz, puisque tout a été fait pour qu’ils s'alignent rapidement sur les prix élevés du marché. Pour le gaz, je l’ai dit, le ministre lui-même a pris cet engagement auprès de GDF – dont, incidemment, le bénéfice a déjà augmenté de près de 44 % en six mois – pour permettre à la fiancée d’être encore plus belle. Mais ce sont les consommateurs qui payent cette facture quand arrive leur note de chauffage ! Pour l'électricité, nous ne sommes pas dupes : la formule du tarif Oui, car il consiste à faire baisser artificiellement les prix du marché pour les entreprises, et il aura en réalité pour effet d'augmenter mécaniquement le tarif administré de l'électricité. Autrement dit, on financera la baisse des prix pour les industriels par la hausse des tarifs appliqués aux familles – comme EDF devra rembourser la différence, l'opérateur historique exigera une augmentation du tarif administré pour compenser cette remise. Cela étant, ce tarif « de retour » risque d'avoir le même succès auprès de nos partenaires européens que la baisse de la TVA
sur la restauration. Mais quels sont ces députés qui se sont laissés rassurer par des arguments aussi légers qu'incertains ? L’État, nous a-til été dit, conservera la minorité de blocage. Mais si vous aviez été là lorsque M. Novelli a démontré avec brio que l'entité fusionnée GDF–Suez restait opéable, vous auriez compris à quel point cet argument n'est pas sérieux. De plus, vous allez voter en faveur d’une participation minoritaire de l’État dans le capital de GDF, mais rien ne vous dit que, finalement, l'État conservera bien 34 % du nouvel ensemble. L'État, a-t-on expliqué aussi, détiendra une action spécifique, ce qui lui permettra d’empêcher toute cession d'actifs stratégiques. Cet argument ne tient pas davantage. Non seulement on a constaté à l’époque de la fusion Elf–Total l'inefficacité du dispositif, mais la Commission européenne confirme que les actions spécifiques sont contraires au traité de Rome car elles entravent la concurrence. D'ailleurs, vendredi dernier, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu un arrêt défavorable à ce mécanisme, pratiqué aux Pays- Bas. Voilà donc encore un filet de sécurité qui ne tiendra pas ! Et, enfin, la fameuse présence, à titre purement consultatif, d'un commissaire du Gouvernement
au conseil d'administration de l'entreprise fusionnée. Une fois de plus, on se moque de nous ! Les administrateurs de GDF–Suez doivent en trembler ! Malgré tout, je conçois que mes collègues de la majorité se soient laissés convaincre par les centaines de millions de pages publiées dans les journaux depuis des mois. Publicité institutionnelle ou pour vanter les mérites de la fusion, cette campagne de communication peut avoir un double impact : donner le sentiment qu'il n'y a pas d'alternative à ce projet et diluer l'esprit critique de la presse qui a bien besoin de ressources publicitaires en ce moment.
Mais quels sont ces députés pourtant avertis et compétents qui vont mettre en difficulté les collectivités locales ? Ils refusent de voir arriver la fin du monopole des concessions de service public de distribution de gaz naturel, alors que celui-ci repose depuis 1946 sur le caractère public de l'unique concessionnaire – GDF – et que sa privatisation offre ce monopole à une entreprise privée. Les ambitions de Gazprom, d'une part, dont les managers prétendent qu'ils n'ont pas assez de doigts pour compter les sociétés
qui les intéressent, la jurisprudence européenne récente, d'autre part, laissent peu de doutes sur la durée de vie de ce monopole au regard de la libre concurrence. Il y a fort à parier qu’un recours cassera ce monopole en exigeant une mise en concurrence préalable et là, c'est l'ensemble de notre dispositif qui s'écroulera. Vous aurez été prévenus !
Mais où sont ces députés de la majorité qui n'acceptent pas cette fusion, qui prônent une alternative à l'extérieur de l’hémicycle et qui restent muets à l'intérieur ? Cette rupture annoncée avec ce funeste projet relève-t-elle de la posture, de l'imposture, ou de la séance de rattrapage ? Les arguments ne manquent pas pour dénoncer les dangers, les incohérences, l'inconséquence de votre projet de privatisation. Et encore, je n’évoque pas les questions de morale : usage des stock options – pour lesquelles vous avez refusé, Monsieur Loos, de nous dire si vous utiliserez votre droit de veto – ou usage de l'optimisation fiscale qui permettra à Suez, avec la fusion, d’économiser plus de trois milliards d'impôts. Je n’évoque pas non plus l'attitude du Premier ministre qui semble déjà avoir vendu à Enel les dépouilles de GDF après la fusion ni du flou qui est maintenu par vos soins, Monsieur le ministre, sur ce qui sera cédé, filialisé, partagé ou supprimé chez GDF : terminaux méthaniers, kilomètres d'infrastructures de réseau, activités de service, 21 % de l'approvisionnement de gaz et 20 000 emplois en moins selon les syndicats !
Tous les députés socialistes voteront contre la privatisation d'une entreprise
stratégique. Nous voterons contre la remise officielle des fichiers clients d'EDF à un groupe privé, contre l'organisation d'une guerre fratricide entre EDF et GDF dont les Français feront les frais avec de fortes augmentations de tarifs, contre le démantèlement d'une entreprise historique qui, depuis longtemps, a fait ses preuves, contre l'accaparement d'un bien national et public par des intérêts privés, contre le fait, enfin, que c'est GDF qui financera le démantèlement des centrales nucléaires belges. Nous continuerons à exiger la mise en perspective d'une véritable alliance entre EDF et GDF au sein d'un pôle public de l'énergie. Oui, nous affirmons que le meilleur rempart contre toutes les dérives que je viens de dénoncer c'est de garder GDF comme entreprise publique et que la meilleure solution pour notre avenir énergétique, c'est de conforter l'entité EDF–GDF, fusionnée ou bien rassemblée stratégiquement dans une holding dédiée. Nous continuerons à dénoncer le scandale que constitue le fait de vous donner un «chèque en blanc» pour brader un bien public majeur, à quelques mois d'une consultation démocratique capitale pour l'avenir du pays. _
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