Le 17 décembre 2015
PLUTÔT QUE LA DÉCHÉANCE DE LA NATIONALITÉ, LA DÉGRADATION CIVIQUE
Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, président du groupe radical RRDP, ancien Ministre, député du Val de Marne :
« Le 16 novembre, devant le Congrès, le chef de l’État avait annoncé une révision de la Constitution pour y faire figurer l’état d’urgence et, également, pour permettre de ‟déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né Français, dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité”.
Actuellement, en effet, selon l’article 25 du code civil, cette déchéance peut concerner le binational auteur de telles infractions seulement s’il ‟a acquis la qualité de Français”, mais non pas s’il est né Français. Étendre cette sanction, au-delà des binationaux français par acquisition, aux binationaux français de naissance nécessiterait une modification de la Constitution.
Toutefois, cette nouvelle disposition constitutionnelle marquerait une nette rupture avec notre tradition juridique. Par ailleurs, elle n’empêcherait pas la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’UE de contrôler sa compatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme, notamment avec l’article 3 de son Protocole n° 4, relatif à l’ ‟interdiction de l’expulsion des nationaux”.
Mieux vaudrait donc retenir une autre solution qui, sans présenter ces difficultés juridiques et sans nécessiter une révision de la Constitution, produirait un résultat analogue.
Selon les articles 414-5 et 422-3 du code pénal, les coupables de crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou d’infractions de terrorisme encourent également, comme peine complémentaire, l’interdiction des droits civiques, civils et de famille. Cette interdiction dépossède le condamné des éléments majeurs de la citoyenneté.
Ainsi, si priver un binational né Français de sa nationalité paraît difficile par rapport à notre tradition juridique, en revanche, il est possible d’obtenir un résultat quasi analogue en le privant, en fait et durablement, de sa citoyenneté ou des principaux attributs de celle-ci.
Ces délinquants ne seraient pas déchus de leur nationalité, mais seraient privés de leur citoyenneté pour l’essentiel. Ce qui, symboliquement, constituerait une sanction presque équivalente.
Cette interdiction des droits civiques, civils et de famille a remplacé dans le nouveau code pénal de 1992 la dégradation civique et est devenue une peine complémentaire et de durée temporaire. À ces modifications près, elle emporte les mêmes effets, précisés à l’article 131-26 du nouveau code, que l’ancien dégradation civique : privation du droit de vote et d’éligibilité, du droit d’exercer une fonction publique, de témoigner en justice, etc. Cette interdiction des droits civiques ne peut excéder 10 ans en cas de crime et 5 ans en cas de délit. Mais ces durées sont portées respectivement à 15 et 10 ans en cas d’actes de terrorisme (art. 422-3).
L’on pourrait envisager de rétablir, de manière spécifique, cette peine de la dégradation civique, qui avait un caractère clairement infamant, pour les crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou constituant des actes de terrorisme.
Rétablir cette peine sous sa dénomination antérieure dans le code pénal – qui a simple valeur législative – éviterait d’avoir à réviser la Constitution et à sembler y inscrire une distinction entre deux catégories de Français.
Comme l’actuelle interdiction des droits civiques, cette sanction pourrait s’appliquer sans distinction aux auteurs de telles infractions nationaux ou binationaux et, dans ce cas, qu’ils soient Français par acquisition ou Français nés en France. »
Commentaires