PROPOSITION DE RÉSOLUTION SUR LA PALESTINE : INTERVENTION DE ROGER-GÉRARD SCHWARTZENBERG ASSEMBLÉE NATIONALE, 28 NOVEMBRE 2014
Notre groupe arrêtera sa décision après ces débats et à notre prochaine réunion. Mais, par-delà telle ou telle diversité naturelle, je souhaite vous indiquer le sentiment qui paraît prévaloir aujourd’hui.
L’article 34-1 de la Constitution autorise les assemblées à voter des résolutions. Mais il précise : « Sont irrecevables … les propositions de résolution dont le Gouvernement estime qu’elles contiennent des injonctions à son égard. »
Il convient, en effet, de respecter la séparation des pouvoirs, la répartition des compétences entre le Législatif et l’Exécutif. C’est-à-dire le chef de l’État, chargé de diriger la politique étrangère par l’article 52 de la Constitution, et le gouvernement, chargé de conduire la politique de la Nation par l’article 20.
Le droit de résolution est fait pour que l’Assemblée puisse, sur tel ou tel sujet, exprimer sa position, son opinion. Mais il s’agit bien là de son opinion, pas de l’opinion de l’Exécutif qu’elle n’a pas capacité à engager.
Or, ce texte se termine ainsi : « L’Assemblée nationale invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine. »
Selon le dictionnaire, « inviter » a pour synonymes « engager », « exhorter », « inciter ». Cette « invitation » est donc la forme, un peu plus courtoise, de l’« injonction ».
Il s’agit de prescrire au Gouvernement d’accomplir un acte déterminé, de lui donner une directive, une instruction en ce sens.
Or, chaque pouvoir doit agir dans son domaine constitutionnel de compétence, sans « tentative de débordement », comme l’écrit le Pr. Jean Gicquel.
Pour ne pas engager ou impliquer le Gouvernement – et donc pour être recevable –, il aurait été possible d’écrire par exemple : « L’Assemblée considère qu’il importe de reconnaître l’État de Palestine. »
Ni examen en commission ni amendement
Autre point : telles qu’elles sont régies par la loi organique du 15 avril 2009 et par l’article 136 de notre Règlement, les propositions de résolution sont des instruments d’expression très rigides. D’une part, « elles ne sont pas renvoyées en commission » (al. 3). D’autre part, « elles ne peuvent faire l’objet d’aucun amendement » (al. 10).
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Bref, selon une formule familière, c’est à prendre ou à laisser.
Le député qui n’appartient pas au groupe ayant déposé la proposition de résolution se trouve sans marge d’action. Il n’a qu’une alternative : adopter tel quel ou rejeter tel quel ce texte sans pouvoir le modifier ou l’infléchir en quoi que ce soit.
La diplomatie parlementaire
Dernier point : la diplomatie parlementaire a ses mérites, mais aussi ses limites. Par la force des choses, telle Commission parlementaire, même spécialisée, dispose d’une information moins complète que le Quai d’Orsay, pour pouvoir suivre toutes les données d’un problème complexe. D’un côté, quelques administrateurs, d’ailleurs de grande qualité, à l’Assemblée. De l’autre, un très grand nombre de fonctionnaires au ministère des Affaires étrangères.
Le risque, c’est que l’Assemblée ou telle Commission, croyant bien faire, gêne éventuellement l’Exécutif par ses prescriptions, limite sa liberté d’action et sa capacité de négociation internationale, par des initiatives imprévues ou inopinées.
C’est donc à l’Exécutif qu’il appartient de décider de la diplomatie française.
Pour ces diverses raisons, cette proposition de résolution ne peut apparaître comme recevable. En conséquence, comment serait-il possible de prendre part à son vote si l’on veut se conformer à la Constitution ?
Le processus de négociation
Sur le fond, je connais la sincérité des auteurs de cette résolution.
Comme eux, chacun souhaite profondément que s’établissent durablement la paix et la sécurité pour tous, dans cette partie du Proche-Orient meurtrie par tant de conflits et d’attentats.
Chacun déplore avec émotion le nombre des victimes, de part et d’autre.
Chacun de nous est favorable à la solution des accords d’Oslo, qui continue d’être retenue par Israël et par l’Autorité palestinienne. C’est-à-dire la coexistence pacifique et la reconnaissance mutuelle de deux États, vivant côte à côte.
J’ai d’ailleurs pu, comme vice-président de la commission des Affaires étrangères, rencontrer ici, à l’Assemblée, Yasser Arafat en 1996.
Conformément aux accords d’Oslo, la Cisjordanie est dirigée aujourd’hui par l’Autorité palestinienne du Président Mahmoud Abbas. Et Gaza a été totalement évacuée en 2005.
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Même si le processus de négociation est aujourd’hui interrompu, il est possible qu’il reprenne.
Il ne faut pas omettre la « feuille de route » et l’action, toujours possible, du Quartet, qui représente l’ONU, l’Union européenne, les États-Unis et la Russie. De même, il ne faut pas oublier la médiation de John Kerry, qui avait réussi à relancer des négociations directes jusqu’en avril dernier et qui espère y parvenir de nouveau.
Comme le dit avec justesse Elisabeth Guigou dans « Le Monde » du 13 novembre : « Il semble que le Secrétaire d’État américain, John Kerry, ait l’intention d’effectuer une nouvelle tentative de négociations. Il faut en tenir compte. S’il y arrive, tant mieux. »
Par ailleurs – autre difficulté –, cette résolution intervient à un moment de grande tension, donc peu favorable. Elle risque d’être mal comprise vu la situation actuelle qui ne s’y prête guère. Avec plusieurs attentats très meurtriers commis à Jérusalem ces jours derniers.
Le Hamas
Par ailleurs, la nouvelle composition du gouvernement palestinien pose problème. En effet, conformément à l’accord de partage du pouvoir signé entre ces deux organisations palestiniennes le 23 avril, un gouvernement d’union a été formé le 2 juin par le Fatah de Mahmoud Abbas, dirigeant ouvert au dialogue, et le Hamas, qui soutient des positions extrémistes.
Le Hamas, le Mouvement de la Résistance islamique, refuse catégoriquement l’existence même de l’État d’Israël, dont il veut la suppression.
Il est important de lire sa Charte.
Article 11 : « La terre de Palestine est une terre islamique … Il est illicite d’y renoncer en tout ou en partie : aucun État arabe n’en a le droit ; aucun roi ou président n’en a le droit. »
Article 13 : « Il n’y aura d’autre solution à la cause palestinienne que par le djihad. Quant aux initiatives, propositions et autres conférences internationales, ce ne sont que pertes de temps et activités futiles. »
L’article 25 précise en effet : « Le Mouvement de la Résistance islamique est un mouvement de djihad. » Et l’article 33 proclame : « Vive le djihad ! »
Or, cette résolution du groupe socialiste ne parle pas une seule fois du Hamas, représenté au gouvernement palestinien depuis juin. Elle passe totalement sous silence
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cette question et apparaît, pour cette raison, incomplète et donc non équilibrée. Ignorer un problème, ce n’est pas le résoudre.
Il est très regrettable que ce texte n’évoque à aucun moment les conditions qui seraient à imposer au Hamas. C’est-à-dire l’acceptation de l’existence de l’État d’Israël, la reconnaissance mutuelle de deux États – l’un palestinien, l’autre israélien – disposant chacun du droit à la sécurité. Ce qui exclut notamment les tirs de roquette contre les villes voisines.
La diplomatie française a toujours conçu la reconnaissance de l’État de Palestine, « le moment venu », comme le résultat, comme l’aboutissement positif et final d’une négociation de paix. Et non l’inverse. Et non une reconnaissance unilatérale avant qu’il y ait eu accord entre les parties concernées.
La France a toujours eu une position équilibrée au Proche-Orient, qui lui vaut d’avoir des relations de confiance et d’amitié avec ces deux parties, avec Israël et avec l’Autorité palestinienne.
Il ne faudrait pas que cette résolution – qui peut paraître déséquilibrée – nous prive de notre position privilégiée et handicape la capacité d’action de la diplomatie française.
Dans son discours à la Knesset, François Mitterrand disait : « Le dialogue suppose la reconnaissance mutuelle du droit de l’autre à l’existence, le renoncement mutuel à la guerre directe ou indirecte. »
Il n’y a pas de fatalité du conflit. Israël a signé des traités de paix avec les États voisins qui acceptent son existence. Il vit en paix avec l’Égypte depuis 1979, depuis 35 ans. Avec la Jordanie depuis 1994, depuis 20 ans.
Rien n’est jamais irrémédiable. Il faut toujours faire confiance à la capacité des peuples à se parler, à s’écouter et, finalement, à bâtir ensemble un destin de paix.