Le Figaro a publié le 11 avril une tribune de Jean-Michel Baylet "Toulouse : l'émotion et la raison"
La France a été littéralement submergée par l’émotion qu’ont provoquée les épouvantables tueries de Toulouse et de Montauban. Et notre pays s’est montré uni dans cette émotion collective, faite à la fois de compassion pour les victimes et leurs familles et d’incompréhension devant la barbarie des actes perpétrés. La fusion émotionnelle était aussi un réconfort : notre grand pays était capable de se rassembler autour des familles éplorées mais aussi autour de nos valeurs communes agressées.
C’est un lieu commun de dire que l’émotion ne ferait pas bon ménage avec la raison, qu’elle produirait en somme un aveuglement. L’épreuve que nous venons de traverser et dont nous ne sommes pas sortis démontre que ce postulat est infondé. Les Français ont été évidemment pétrifiés par l’horreur. Ils ont communié dans une souffrance bien facile à comprendre et difficile à vivre. Comme on l’a justement dit, ces enfants étaient les nôtres, leur père enseignant était des nôtres et les soldats tués, bien sûr, étaient les nôtres, eux aussi. Ce grand malheur était notre tragédie commune et il faut se féliciter d’avoir vu tous les dirigeants du pays observer, si l’on excepte quelques polémiques marginales et peu décentes, retenue et dignité, solidarité et fermeté.
On doit rendre hommage aux communautés atteintes dans ce qu’elles ont de plus cher. La communauté judaïque, comme aux heures les plus sombres de notre Histoire. La communauté musulmane frappée d’un double malheur, celui de comporter en son sein à la fois des victimes et leur tueur. L’institution militaire enfin, visée en l’occurrence comme un symbole de notre République. Aucune de ces communautés humaines ne s’est laissée emporter par la haine, par un quelconque désir de vengeance collective, ou par la tentation de se trouver un ennemi autre que le fou qui est mort de sa folie.
Tous ont montré l’exemple de la fermeté de l’âme humaine quand elle fait confiance à des valeurs qui rassemblent les hommes et qu’elle condamne les fureurs qui veulent les opposer. C’est l’honneur de la République que de résister fermement mais avec humanisme à tous ceux qui croient pouvoir spéculer pour en abuser sur la supériorité morale qu’ils nous prêtent. La France républicaine est forte d’une morale plus élevée que la leur. Elle ne fait pas fi de la vie. Elle croit à la justice et au droit. Et elle en offre même les garanties à ses pires ennemis. Jusque dans la souffrance, cette France est belle, telle que nous l’aimons.
Mais en disant quelle a été notre émotion, devrions-nous pour autant renoncer à la raison ? Qu’il soit permis ici à quelqu’un dont toutes les racines se trouvent entre Toulouse et Montauban de délivrer un message simple : ce serait méconnaître toutes les traditions de cette grande et belle région de croire que l’affliction la plus sincère ne pourrait s’accommoder du libre exercice de la raison discursive et du doute méthodique qui nous ont été légués en héritage par le mouvement des Lumières.
L’émotion ne s’affaiblit ni ne s’oublie lorsque force reste à la raison. Nous sommes, chacun le sait, dans une période électorale capitale. Et l’unité que nous avons éprouvée n’abolit pas nos différences politiques ; elle ne supprime pas la confrontation de nos projets en vue du bien public ; elle n’efface pas nos divergences d’analyse sur l’état de la société française. Nous croyons cependant, et la gauche le croit plus encore à la lumière des événements dramatiques récents, que la France est forte lorsqu’elle est rassemblée, lorsque toutes ses communautés refusent la tentation du communautarisme pour se dépasser dans un grand projet collectif commun, dans une société réconciliée, solidaire et généreuse.
C’est pourquoi il faut mettre en garde ceux qui voudraient utiliser en l’exacerbant l’émotion qui nous occupe encore. On ne répondra pas aux attentes très concrètes des Français soucieux de leur vie quotidienne en gesticulant sans relâche comme pour prolonger la séquence tragique récemment vécue. Arrêter à chaud des islamistes connus de longue date, qu’ils soient réellement des comploteurs dangereux ou des djihadistes de pacotille, ne sert ni la démocratie ni les valeurs dont nous avons démontré la force et la résistance. Essayer d’installer l’effroi et le sentiment d’insécuritété au cœur de la campagne électorale est une méthode anxiogène ne démontrant que la peur de ceux qui mobilisent des épouvantails pour dissimuler la réalité de leur action. Parler, même en un lapsus, de « musulmans d’apparence » c’est contredire tous les discours tenus sur l’unité de la nation et sur la laïcité de la République.
Revenons à la raison en gardant intacte notre émotion. Les victimes de Montauban et Toulouse nous demandent des comptes. Sur les causes du drame, les victimes nous imposent d’agir, pas de nous agiter. Elles nous implorent de nous unir, pas de nous diviser. Elles exigent que nous soyons dignes d’elles puisqu’elles ont pu nous ordonner un vrai moment de dignité commune.
Ceux qui dirigeront notre pays seront d’abord jugés sur leur capacité à observer le double respect de l’émotion et de la raison. Et l’espérance s’enracinera, soyons en certains, dans les souffrances vécues par le pays, dans ce moment de douloureuse et miraculeuse unité.
http://www.jeanmichelbaylet.fr/2012/04/11/toulouse-lemotion-et-la-raison/
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