Chacun d’entre nous peut voir que la politique française –et, bien sûr, la gauche avec elle– est entrée dans une période de haute tension et de fortes turbulences. Toutes les lignes traditionnelles sont en train de bouger...
Cette situation tient, pour l’essentiel, à trois causes majeures. L’élection présidentielle et les conditions dans lesquelles elle a été acquise. Le calendrier électoral qui voit l’installation d’un nouveau pouvoir exécutif coïncider avec la préparation des législatives. Et enfin ce qu’il nous faut bien appeler les gestes d’ouverture politique de ce nouveau pouvoir.
Je veux vous donner mon sentiment sur ces trois points. Je le souhaite d’autant plus que les premières analyses que j’ai livrées à l’extérieur sur la situation politique actuelle ont été manifestement mal comprises par un certain nombre de radicaux. Dès l’abord, je veux préciser à ce sujet que j’admets bien volontiers –je l’appelle même de mes vœux– le débat interne mais que je ne tolérerai pas les mises en cause personnelles et encore moins les propos injurieux. Notre effort commun de compréhension, puis de délibération, puis d’action dans une situation inédite vaut mieux que ces procédés. Je garde dans tous les cas à l’esprit comme une priorité le souci de l’unité de notre parti, unité que j’ai toujours veillé à préserver depuis que votre confiance me vaut de le présider.
Revenons donc tout d’abord sur l’élection présidentielle et sur son déroulement. Nous y avons trouvé plusieurs motifs de satisfaction. Le premier tient à notre choix du 23 octobre en Congrès que la campagne a parfaitement validé. Alors même que le débat public se focalisait déjà sur la très probable opposition entre Ségolène ROYAL et Nicolas SARKOZY, nous avons eu raison de penser que, malgré son talent qui n’est pas en cause, notre seule candidate déclarée, Christiane TAUBIRA, ne bénéficierait pas d’une visibilité politique lui permettant de produire un apport décisif à une éventuelle victoire au deuxième tour. Nous aurions subi le sort des communistes, des verts ou des altermondialistes. Notre Congrès a donc montré, dans la clarté d’un vote démocratique que la minorité a respecté, une très grande sagesse.
Notre deuxième motif de satisfaction réside dans l’excellente campagne menée par la candidate que nous avons soutenue. Malgré les attaques qu’elle a subies, malgré la mise en cause permanente de sa compétence, Ségolène ROYAL, a conduit une campagne intelligente, courageuse, innovante, audacieuse. Elle a imposé dans le débat des thèmes et des méthodes qui n’en sortiront plus : démocratie participative, actions de proximité, jurys de citoyens, etc. Elle a aussi imposé à la gauche de réhabiliter des principes que celle-ci avait oubliés ou abandonnés à la droite : la restauration du respect de l’autorité légitime ou encore la fierté d’une identité nationale enrichie de toutes ses différences. Merci à Ségolène ROYAL pour ce beau combat.
Nous sommes fiers de l’avoir mené à ses côtés et ceci aura constitué la troisième de nos grandes joies collectives dans cette campagne : les radicaux y ont pris toute leur place et ils ont été visibles comme des alliés loyaux dépourvus d’états d’âme dès lors qu’il s’agit d’une entreprise collective. J’ai été moi-même très sollicité pour participer à la campagne, de même que tous nos parlementaires et dirigeants nationaux ainsi que nos fédérations. Je veux vous féliciter tous de cet effort et je veux m’adresser, en particulier, aux partisans d’une candidature radicale autonome qui, après le Congrès, n’ont pas plus que les autres radicaux ménagé leurs efforts pour le succès commun.
Ils avaient compris une évidence sur laquelle je veux cependant insister car elle sera essentielle dans l’avenir proche et aussi parce que certains de nos alliés ne l’avaient apparemment pas intégrée. Quelle évidence ? Dans une séquence politique, il y a trois temps : le temps de la délibération qui est celui de la liberté, le temps de la décision qui doit être celui de la clarté, et le temps de l’exécution qui est impérativement celui de l’unité.
En effet, cette campagne ne nous a pas apporté que des satisfactions. Pour ma part, j’ai été consterné de constater qu’avant, pendant et après la campagne, Ségolène ROYAL, désignée sans la moindre contestation possible par le Parti Socialiste et plébiscitée par les électeurs de gauche, n’a cessé de subir des attaques venues de son propre camp, et même de certains des principaux dirigeants socialistes. Ceci n’est pas acceptable et disqualifie les auteurs de ces attaques pour donner, comme ils en ont la fâcheuse habitude, des leçons de morale et de comportement politiques à leurs partenaires et à leurs alliés. J’estime même que Ségolène ROYAL a été battue autant par ses amis que par Nicolas SARKOZY.
Elle a été contredite, y compris quand elle énonçait au soir du 6 mai une évidence stratégique : avec une gauche à son plus bas niveau global au premier tour, il est nécessaire de rassembler dès demain toute la gauche mais aussi de l’ouvrir au-delà de ses frontières qu’on dit « naturelles » alors qu’elles ne sont qu’habituelles. Et d’une gauche ainsi rassemblée, modernisée, ouverte, Ségolène ROYAL avait évidemment la légitimité de devenir le chef par le courage politique et la ferme détermination qu’elle a montrés. Aussitôt énoncé, ce projet –qui ressemble fort, notez-le, à la position arrêtée en 2002 par notre Congrès de Toulouse et ignorée lorsque nous l’avons présentée au Congrès socialiste de Dijon– a été contredit par les surenchères à gauche de l’un, les obsessions social-démocrates de l’autre et les calculs tactiques de tous.
Le succès relatif de François BAYROU a pourtant bien montré qu’il existe en France, selon l’analyse permanente des radicaux, un grand territoire central où convergent de nombreuses aspirations sociales et qu’un succès à gauche ne pourra se construire dans l’avenir que par l’occupation de ce terrain qu’elle se fasse par alliance avec des centristes ou par la reconstruction d’un grand parti radical.
Ces considérations m’amènent évidemment à évoquer la perspective des élections législatives toutes proches. François BAYROU peut, en effet, mesurer d’ores et déjà les limites de son entreprise : qu’un territoire politique soit central dans la société ne signifie pas qu’il puisse automatiquement être occupé par des centristes dans la distribution partisane. Il est, en outre, difficile de n’être centriste qu’à Paris lorsqu’on dispose en province d’élus de terrain provenant des circonscriptions les plus à droite du pays. Quoi qu’il lui en coûte, François BAYROU devra donc bien passer par des alliances avec le Parti Socialiste, et j’y reviendrai, ou avec l’UMP.
Dans tous les cas, les législatives sont désormais alignées sur l’élection présidentielle dont elles subissent et consacrent la prééminence sur tous les autres scrutins. Seule une dissolution, devenue improbable à cause précisément de cet alignement, pourrait à l’avenir briser cette logique. Je rappelle que les radicaux qui restent hostiles à la monarchie républicaine instituée par l’élection présidentielle, n’étaient pas favorables, en 2001, à l’inversion du calendrier électoral. Elle a été voulue par Lionel JOSPIN tant il était certain, ironie de l’histoire, que ses chances à la présidentielle étaient plus grandes que celles de la gauche aux législatives … On a vu la suite : nous avons perdu les deux.
Mais le résultat aujourd’hui le plus important de cette réforme est qu’elle va permettre de façon quasi-certaine au nouveau Président de la République de s’assurer une forte majorité à l’Assemblée Nationale. Encore cette probabilité serait-elle un peu moins grande si le Parti Socialiste manifestait, dans ces circonstances difficiles, une grande volonté d’unité interne et un grand souci d’équilibre dans ses relations avec ses partenaires et notamment avec ceux qui ont été les plus loyaux lors de l’élection présidentielle. Au lieu de quoi, nos amis socialistes se déchirent de plus belle dans leurs débats internes et ne cessent de morigéner leurs alliés –notamment les radicaux– à propos des projets politiques qu’ils leur prêtent.
Nous n’avons, pour notre part et pour l’immédiat, qu’un seul projet : en appeler au bon sens et à la volonté d’équilibre de nos concitoyens pour que les élections législatives apportent le plus large contrepoids au nouveau pouvoir exécutif. C’est l’intérêt commun évident du pays et de la gauche. Apparemment ce n’est pas le projet de certains socialistes qui, pratiquant la fameuse stratégie de la « terre brûlée », pensent qu’ils seront d’autant mieux placés en 2012 que les défaites auront été plus larges en 2007.
Hé bien, je le dis tout net, je ne laisserai pas entraîner les radicaux dans ces choix suicidaires. Depuis que la grande expérience personnelle et l’immense savoir-faire politique de François MITTERRAND nous font défaut, les socialistes viennent de nous entraîner, pour la troisième fois consécutive, dans une défaite qui n’est que la leur. En 2002, ils étaient même allés jusqu’à la reprocher à leurs alliés, sans jamais faire la moindre autocritique sur les cinq ans de gouvernement de 1997 à 2002. Pour cette fois, on n’en est pas encore à imputer la défaite à d’autres mais on cherche déjà des boucs émissaires à propos de la question de l’éventuelle ouverture du dispositif politique de la nouvelle majorité.
C’est le troisième des grands sujets sur lesquels je voulais vous soumettre mon analyse puisque c’est, semble-t-il, celui qui prête le plus à la polémique.
Je veux rappeler, tout d’abord, que l’ouverture politique est dans la nature même de l’élection présidentielle. Pour deux raisons. La première est que le deuxième tour se gagne toujours, arithmétiquement, dans le territoire central que j’évoquais plus haut. La seconde, d’évidence elle aussi, est qu’on ne peut pas gouverner une moitié de la France contre l’autre, et j’ai noté, comme vous tous, au soir du 6 mai, que Ségolène ROYAL et Nicolas SARKOZY avaient employé des mots presque identiques pour en appeler à une France apaisée et réconciliée. Après la confrontation démocratique des projets vient nécessairement le temps où le projet du gagnant s’ouvre aux idées de l’autre.
Aux idées et souvent aux hommes. De fait, et à l’exception très circonstancielle des présidentielles de 1981 (vague rose) et 2002 (Le Pen au second tour), toutes les élections présidentielles, y compris l’élection originelle de 1958, ont été marquées par une ouverture politique plus ou moins grande à des personnalités ou à des formations politiques jusque-là opposées. Et je ne me rappelle pas, par exemple, avoir entendu les actuels gardiens du temple socialiste pousser des cris d’orfraie lorsque François MITTERRAND a fait entrer au gouvernement en 1988 dix personnalités de droite regroupées d’abord dans l’Association des Démocrates puis dans France Unie. C’est la logique même de l’élection présidentielle.
Elle n’a pas échappé au nouveau Président de la République qui veut faire bouger les lignes politiques et qui multiplie les gestes symboliques pour montrer qu’après avoir mené une campagne très à droite sur un programme ultra-libéral, il entend diriger un pays réconcilié et retrouvant immédiatement sa place en Europe.
Pour ce faire, il a invité un certain nombre de personnalités à s’entretenir avec lui des moyens de cette réconciliation, voire des procédures d’élargissement de sa majorité. Certains de ses interlocuteurs, le plus souvent engagés à gauche, ont d’ores et déjà accepté de contribuer à cet élargissement. Il s’agit d’une démarche difficile, courageuse, mais purement individuelle. Il reste qu’à ce jour trois socialistes figurent au gouvernement de François FILLON et que d’autres ont accepté des missions.
Nicolas SARKOZY m’a également invité en ma qualité de Président du Parti Radical de Gauche. Il m’a paru conforme à notre vision commune permanente de la République et de ses pratiques d’accepter une telle invitation. Cet entretien a eu lieu en présence du futur Premier ministre.
Le Président élu m’a exposé sa conception de l’avenir politique du pays : beaucoup moins à droite que sa campagne dont il considère qu’elle lui a permis de réduire l’influence du Front National, beaucoup plus soucieuse que son programme de l’impératif de solidarité, beaucoup moins atlantiste en politique extérieure que certaines postures précédentes avaient pu le laisser craindre. Il m’a également demandé quel rôle les radicaux de gauche entendaient jouer dans les évolutions politiques qui s’esquissaient.
Ma réponse a consisté en trois points. J’ai tout d’abord rappelé que notre parti était tenu –et s’y tiendrait– par des alliances précises déjà passées pour les législatives et déjà préparées pour les élections locales même si je note, comme vous tous, que nos amis socialistes ne dissimulent guère leur envie de passer, par dessus notre tête en quelque sorte, une nouvelle alliance avec l’UDF rebaptisée…
En deuxième lieu, j’ai indiqué que le Parti Radical de Gauche restait disponible pour un dialogue républicain conduit dans l’intérêt public mais que les responsables d’organisations politiques ne pouvaient avoir les mêmes préoccupations que des personnalités individuelles. Toute perspective de discussion –quel qu’en puisse être le terme aujourd’hui difficile à prévoir– doit passer par un inventaire des convergences et des divergences entre ceux qui discutent. J’ai noté, lors de cet entretien, de réelles convergences avec la nouvelle vision exprimée par le Président de la République : nécessité d’une relance de la construction européenne, ratification du Traité constitutionnel par la voie parlementaire et non plus par l’aventure des aléas référendaires, urgence et inventivité de solutions sociales généreuses à apporter aux problèmes des banlieues, plus grande solidarité dans l’aménagement du territoire, volonté de réformer véritablement l’Etat et d’approfondir la décentralisation. J’ai également souligné la réalité et l’importance de nos divergences au moins quant à son programme de campagne : vision trop restrictive de l’identité nationale, réponse trop exclusivement répressive aux problèmes de l’insécurité, politique fiscale trop favorable au capital, insuffisante défense de la conception française du service public et de sa fonction capitale pour l’égalité républicaine, etc. Cet échange a été, vous l’imaginez, vif et franc.
Mais j’ai également indiqué, et c’était le troisième point de ma réponse, que cet inventaire des convergences et des divergences pouvait être plus facilement conduit et complété dans un dialogue entre les radicaux de gauche et les radicaux valoisiens, dialogue que j’étais, pour ma part, décidé à lancer et à animer, ce que j’ai aussitôt confirmé dans la presse. Il me semble en effet que les raisons qui ont présidé à la division des radicaux en 1972-1973 (stratégie d’union de la gauche et donc d’alliance avec un parti communiste puissant, programme commun) n’ont plus aujourd’hui aucune actualité et que la division des radicaux en deux partis est, pour l’essentiel, artificielle. Il me semble en outre que le vote BAYROU lors de la présidentielle démontre, du fait de l’impasse où il se trouve désormais, que les radicaux d’abord rapprochés, puis demain pourquoi pas rassemblés, ont vocation à occuper le grand territoire central qui est, dans ce pays, celui de la laïcité et de l’humanisme républicain, non celui de la démocratie-chrétienne accolée à la droite de toute éternité.
Voilà tout, absolument tout, ce que j’ai répondu à Nicolas SARKOZY. Tout ce que j’ai répondu à la presse qui m’interrogeait.
Ces propos simples à comprendre m’ont valu une très vive réaction du Parti Socialiste toujours prompt à admonester ceux qu’il considère comme ses vassaux et non comme ses alliés. J’ai fait observer à François HOLLANDE, d’une part, que le Parti Radical de Gauche n’avait pas de comptes à lui rendre, d’autre part, que nous ne lui en avions pas demandé lorsque, entre les deux tours de la présidentielle, les socialistes avaient proposé à l’UDF un accord politique complet, sur le gouvernement et sur les législatives. Je lui ai ensuite indiqué que la fin des querelles socialistes serait plus utile à la gauche que les mises en garde aux radicaux et que ceux-ci n’étaient pas au gouvernement tandis que plusieurs socialistes s’y trouvaient. Bref, j’ai défendu notre indépendance d’analyse et de stratégie politique.
Mes déclarations ont également ouvert –et cela m’importe plus– un vif débat à l’intérieur de notre parti. J’ai dit quelles règles formelles je souhaitais voir respecter. Sur le fond, j’ai enregistré la réaction compréhensible et légitime de certains de nos députés ; ma première réponse sur la préparation des législatives doit les rassurer tout à fait. J’ai observé aussi, sans avoir pour ma part jamais parlé de rupture d’alliances, que les militants les plus farouchement décidés au Congrès à manifester notre indépendance par rapport au Parti Socialiste semblaient paradoxalement les plus inquiets des distances que nous pourrions prendre aujourd’hui avec le PS s’il persistait dans ses comportements incompréhensibles. Les mêmes s’inquiétaient également de notre absence dans les médias ; ils s’effarouchent aujourd’hui de l’intérêt que nous porte la presse, ça n’est pas très logique. J’ai noté enfin, avec satisfaction, qu’une majorité de radicaux se réjouissaient d’une ouverture du dialogue avec nos cousins valoisiens qu’il sera tout de même difficile de présenter comme des alliés de l’extrême-droite.
Je l’ai dit, les frontières politiques bougent autour de nous. Allons-nous assister passivement à ce grand mouvement sans y prendre part ? Allons-nous laisser les moins légitimes à le faire occuper notre terrain naturel ? Allons-nous subir des alliances passées à notre insu et contre notre intérêt ? Allons-nous tout simplement aller vers l’avenir en regardant vers le passé ?
Non ! C’est en tout cas la réponse que je proposerai à nos instances politiques, Bureau National et Comité Directeur, que je réunirai aussi souvent que nécessaire dans la période cruciale qui s’est ouverte le 6 mai et qui débouchera, que les radicaux y participent ou non, sur une nouvelle distribution politique en France.
Il va nous falloir du courage et de l’audace. Je sais que vous en avez. Vous pouvez compter sur les miens.
Je vous prie de croire, mes chers amis radicaux, en mes sentiments militants déterminés.
Jean-Michel BAYLET
Président du Parti Radical de Gauche
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