Télécharger l'article en PDF : Téléchargement SZ_31_08_2015
TRADUCTION
SZ: Monsieur le Ministre, à la fois jeune et européen convaincu, vous incarnez un mélange devenu rare – d’habitude, l’Europe est plutôt un thème qui intéresse de vieux messieurs.
Emmanuel Macron: Quelle erreur ! Ma génération doit rénover l’Europe de fond en comble. Si vous regardez, il y a eu la génération des pères fondateurs, puis l’ère des réalisateurs. Parmi ces derniers, on trouvait des hommes d’une grande clairvoyance – les chanceliers Schmidt et Kohl par exemple, ou le président Mitterrand, ou encore Jacques Delors. Mais depuis 2005, nous vivons une décennie perdue.
Vous pensez à la stagnation, depuis que les Français ont refusé la constitution européenne par référendum..
Macron: Cela tient au fait que l’Europe a perdu sa direction, son sens. Les gens ne perçoivent plus qu’une énorme bureaucratie, sans vision ni objectif politique. Tout semble se dérouler de façon automatique : l’UE c’est certes élargie comme jamais, mais l’Europe semble creuse. Aux yeux de beaucoup, même l’euro ne semble plus guère qu’un but en soi. Et par-dessus le marché, la crise financière a aggravé tous les problèmes.
Ce n’est pas une base sur laquelle on peut construire
Macron: Voilà, c’est là que se trouve le défi de ma génération ! La question qui se pose à nous est la suivante: voulons-nous être les refondateurs de l’Europe – ou ses fossoyeurs ? Mais on ne peut pas continuer comme jusqu’à présent. Ca ne suffit plus d’avancer à petits pas – nous devons changer l’essence de l’Europe.
C’est donc votre alternative : la renaissance ou la mort ?
Macron: Absolument. Et pourquoi ? Premièrement parce que les gens ne nous suivent plus si on ne leur dit pas où nous allons. Et deuxièmement parce que l’alternative, c’est la désagrégation de l’Europe. Les forces centrifuges sont très fortes, politiques et économiques...
Quelle est donc votre but ? Une refondation ?
Macron: Nous autre Européens devons trouver notre place dans un monde globalisé. Seuls, nous n’y arriverons pas, ni les Français, ni les Allemands. On ne peut le faire qu’ensemble. Malgré toutes nos différences – nous avons un modèle de société unique : la liberté individuelle, couplée à la justice sociale. C’est fondamentalement différent de l’ordre ultralibéral en Amérique ou du capitalisme d’Etat en Chine. Nous autres Européens devons nous poser la question : que voulons-nous construire ensemble ? Ma vision, c’est plus d’Europe, plus de volonté d’intégration. Et plus de moyens pour que les gens aient le sentiment d’appartenir à une communauté. C’est à cette fin que j’ai fait une proposition avec le chef du SPD Sigmar Gabriel : chaque jeune européen en formation – pas seulement les étudiants - devrait avoir la chance d’aller vivre six mois dans un autre pays européen avec le programme Erasmus.
Cela rendrait l’Europe des 28 un peu plus humaine. Mais votre aspiration à une refondation de l’Europe concerne plutôt la zone euro.
Macron: Si nous voulons une véritable union économique et monétaire, nous devons nous faire violence. Pour nous Français, cela signifie que nous faisons pour de bon les réformes qui brisent les vieilles habitudes. Et cela exige aussi de casser des tabous en Allemagne. Si les Etats membres ne sont pas prêts comme jusqu’à aujourd’hui à toute forme de transferts financiers au sein de l’union monétaire, on peut oublier l’euro et la zone euro.
Ce serait en effet un nouveau fondement du contrat pour les Allemands, puisqu’on leur a dit jusqu’à présent que l’UE n’était pas une union de transferts.
Macron: Mais l’expérience le montre, c’est l’union monétaire elle-même qui crée cette nécessité, le statu quo conduit à l’autodestruction. Nous l’avons vécu : avant la crise les taux d’intérêt bas de l’euro ont séduit de nombreux gouvernements, qui ont trop emprunté – les taux d’intérêt ont été une morphine pour tous. Ces excès doivent être corrigés mais nous ne saurions construire l’Europe avec la consolidation budgétaire comme seul horizon à travers l’application de règles budgétaires. Ce serait une double erreur, politique car ce n’est pas comme cela que nous redonnerons du sens à l’Europe et économique parce que sans moyens complémentaires pour des investissements, les pays de la zone euro qui ont des faiblesses structurelles ne se relèveront jamais. Une union monétaire sans péréquation financière – ça n’existe pas ! Les plus forts doivent aider.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez mis en garde, dans le cadre du paquet de sauvetage pour la Grèce, contre un nouveau traité de Versailles ?
Macron: Par le passé nous avons voulu faire payer les peuples et avons nourri les extrêmes. Les réparations élevées, qui ont accablé l’Allemagne après la Première Guerre mondiale, ont aidé les Nazis à prendre le pouvoir. Aujourd’hui, c’est à l’Allemagne de ne pas se figer dans une attitude comptable vis-à-vis de l’Europe et de ses partenaires de la zone euro.
Sinon, c’est un deuxième Versailles qui menace ?
Macron: Sinon, nous prenons le risque que tous les gens qui souffrent aujourd’hui de la crise se transforment durablement en victimes. Cela alimentera un esprit de revanche. Nous devons nous décider : voulons-nous que la zone euro ne soit qu’un espace à taux de change fixe ? Ca signifie une régression et cela signifierait aussi que l’Europe n’aurait pas le droit à terme de se mêler de la politique budgétaire des Etats. Au contraire, le deuxième élément de l’alternative – l’achèvement de l’union économique et monétaire exige de surmonter les dogmes de politique économique. Oui, nous avons besoin d’une politique qui renforce la responsabilité et la compétitivité des pays de la zone euro. C’est ce pourquoi je me bats dans mon propre pays. Mais dans le même temps, l’Europe a besoin de solidarité. Sans cet équilibre, nous n’avancerons pas.
Comment voulez-vous parvenir à cet équilibre ?
Macron: Cela fait des années que nous bricolons des règles censées aider les Etats en crise. Mais elles ne les aident pas – pas assez. La zone euro a besoin de nouvelles institutions auxquelles les gouvernements nationaux transfèrent plus de souveraineté : un gouvernement économique européen fort, doté de son propre budget. Ce gouvernement serait tenu d’agir dans le seul intérêt de l’ensemble de la zone monétaire. Par exemple, il pourrait veiller aux transferts financiers nécessaires lorsqu’un pays est affecté par une crise ou promouvoir les réformes souhaitables pour éviter les divergences entre nos économies. Le gouvernement de l’euro serait conduit par un commissaire aux compétences étendues. Il ne serait pas qu’un ministre des finances de l’euro, mais quelqu’un qui peut également attribuer des moyens d’investissement ou parler de politique du marché du travail.
De combien d’argent dispose ce commissaire ?
Macron: Plus le budget serait élevé, plus crédible serait l’Europe. D’abord nous pouvons nous baser sur les instruments existants, sur le mécanisme de stabilité européen MES, par exemple. Ensuite nous devrions donner à la zone euro la faculté d’emprunter de l’argent sur les marchés. Je ne pense pas aux eurobonds, donc à la communautarisation des vieilles dettes. A court terme, on ne pourra pas avoir de nouvel impôt européen. Les membres de la zone euro devraient plutôt reverser une partie de leurs recettes au budget commun. Le montant du budget, on doit en discuter mais il doit être plus significatif que le budget européen actuel.
L’Europe va donc coûter nettement plus cher.
Macron: C’est vrai, mais le budget actuel de l’UE ne permet même pas d’amortir les chocs financiers dans lesquelles les pays de la zone euro peuvent se trouver. Seuls des instruments puissants aident. Ce projet demande de l’ambition.
Et qui contrôle ce nouveau pouvoir de la zone euro ?
Macron: Ce serait un parlement de la zone euro – une nouvelle chambre, composée des membres du parlement européen dont les pays appartiennent à la zone euro. Je ne veux pas d’un parlement qui ne serait composé que de députés nationaux. Le débat européen ne devrait pas être dominé par la politique nationale.
Votre nouvelle zone euro nécessite un nouveau traité. Êtes-vous sûrs que vos compatriotes l’accepteraient cette fois-ci ?
Macron: On devra naturellement modifier les traités. Mais ce volet juridique est un moyen vers cet objectif. Nous voulons une refondation de l’Europe. Que la réforme semble trop petite, et les gens la refuseront en effet. Ils ne veulent plus d’une Europe des bureaucrates, de jeu petit bras. Nous avons besoin d’un grand coup. Et d’un débat ouvert, pas seulement, comme jusqu’à présent en Europe, qui vienne d’en haut.
Vous croyez que vous pouvez gagner le combat de l’Europe contre les populistes, comme Marine Le Pen ?
Macron : Naturellement ! C’est un drame, de voir à quel niveau le chômage a bondi dans plusieurs pays durant la crise de l’euro. En France aussi, le chômage des jeunes est très élevé. Ca ne veut en aucun cas dire qu’on ne veut pas plus d’Europe. Les gens adhèrent à l’idée d’Europe. Mais les politiques ne satisfont pas aux exigences de ce rêve.
Alors – Maintenant ou jamais ?
Macron: Oui, nous devons maintenant dire ce qu’est le but de l’Europe. Et nous devons dès maintenant préparer toutes les modifications aux traités européens. Nous pourrons les mettre en œuvre dès l’automne 2017 quand les élections nationales en France et en Allemagne seront derrière nous. Dès 2018 ou 2019, l’Europe pourrait reposer sur un fondement nouveau, meilleur.
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